L’apparition du SARS-CoV-2 et le confinement des populations qui s’est ensuivi ont accéléré la prise de conscience qui était déjà à l’œuvre dans la société. Loin de faire oublier les problèmes environnementaux et le dérèglement climatique, cette crise a en effet été l’occasion d’une remise en question de nos modes de vie et, plus particulièrement, de nos modes de production et de consommation. « La crise sanitaire a mis un coup de projecteur sur les failles du système, confirme Nicolas Bricas, socio-économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et titulaire de la Chaire Unesco Alimentations du monde. Ce système a permis l’augmentation de la population mondiale, l’urbanisation et la diminution de la faim dans le monde, mais il a aussi entraîné des effets pervers : l’augmentation de la consommation d’énergies et de fertilisants fossiles, l’effondrement de la biodiversité, la pollution généralisée des milieux, etc. ; l’apparition de nouvelles pathologies nutritionnelles telles que le diabète, les maladies cardiovasculaires et certains cancers ; la consommation de produits ultra-transformés, de résidus de pesticides et de perturbateurs endocriniens. » Aujourd’hui, la majorité de la population française veut des produits plus naturels et de préférence fabriqués localement, c’est ce qui ressort d’une étude menée fin mai 2020 par l’institut de sondage Ipsos. Elle est de plus très inquiète des conséquences économiques de la crise, ce qui ne la pousse pas à consommer mais plutôt à rechercher les prix les plus justes et à se recentrer sur l’essentiel. Cela se traduit, entre autres, par une baisse notable des achats de produits cosmétiques ou vestimentaires. « Étonnamment, cette épidémie favorise un changement des habitudes de consommation », note l’institut Ipsos.
Le boom du numérique
Si les Français ont considérablement réduit leurs déplacements et fait davantage attention à ce qu’ils mettaient dans leur assiette, ils ne se sont en revanche pas limités quant à leur utilisation d’Internet. « La crise a favorisé l’explosion de l’utilisation du numérique (+ 50 %) », observe l’institut de sondage. Les achats sur Internet ont bondi, boostés, notamment, par la crainte d’avoir à se déplacer en magasin. Beaucoup se sont également transformés en fervents adeptes des visioconférences, aussi bien pour prendre des nouvelles de la famille ou des amis, que pour participer à des réunions à distance avec les collègues de travail. Même pour faire du sport, le digital est devenu incontournable. « Or, le numérique est un gros consommateur d’énergie », prévient Nicolas Bricas qui pointe un autre piège : « Consommer des produits locaux n’est pas non plus toujours la solution la plus vertueuse, car la production locale peut parfois être très énergivore, par exemple si cela demande de cultiver sous serre chauffée. »
Privilégier la qualité
« Il y a tout de même un consensus sur certaines choses, poursuit-il. Tout d’abord la nécessité de réduire la consommation de viande de mauvaise qualité. La production de viande industrielle, qui est d’ailleurs le plus souvent importée, a un impact relativement élevé sur l’environnement. » Si les Français achètent moins de viande (– 12 % en dix ans), ils en consomment paradoxalement plus qu’avant. Ils en mangent en effet davantage en dehors de chez eux : lorsqu’ils sortent au restaurant ou au fast-food, qu’ils achètent un sandwich… Un grand nombre de produits transformés contiennent aussi des protéines animales. « Généralement, on mange beaucoup trop de produits carnés : certaines personnes en consomment 14 fois par semaine, c’est-à-dire à chaque repas alors que nous sommes déjà tous en excédent de protéines », confirme le sociologue, qui conseille d’être plus sélectif en choisissant une viande de qualité favorisant le commerce de proximité. Il recommande également d’en vérifier le lieu de production, avant de préciser que : « Il faut produire de grandes quantités de céréales pour nourrir les animaux. La moitié de la surface agricole mondiale est d’ailleurs consacrée à leur alimentation. »
Le consommateur peut-il « refaire le monde » ?
Depuis quelques années, alerté par les nombreuses campagnes menées par diverses organisations non gouvernementales (ONG) environnementales, un nouveau type de consommateur a vu le jour. Ce consommateur éclairé a réduit l’achat des objets en plastique, se méfie de la fast fashion (un segment de l’industrie vestimentaire qui se caractérise par le renouvellement très rapide des collections pour susciter plus souvent l’envie d’acheter) ou encore privilégie l’usage du vélo ou autres trottinette et voiture électriques. « On peut commencer par changer ses comportements, mais on ne peut pour autant faire porter le moteur du changement au consommateur », insiste Nicolas Bricas, qui ajoute : « On a arrêté de se déplacer, ralenti nos activités mais il n’y a pas eu une très grande baisse de l’émission de gaz à effet de serre. Le comportement des ménages et des individus ne pèse pas tant que ça sur l’environnement. » Même si les citoyens font des efforts individuels face à la menace climatique, cela ne suffira donc pas à changer le modèle, car ce sont les modes de production agricole et industriel qui sont le plus en cause. « C’est de la responsabilité des politiques de faciliter les comportements vertueux aux citoyens, souligne le sociologue. Ils peuvent, par exemple, promouvoir la diversification des productions agricoles à l’échelle locale en évitant les monocultures, développer l’installation de pistes cyclables sécurisées et faciliter l’usage des transports en commun. » Le changement ne pourra venir que par le collectif, mais la crise qui s’annonce risque fort de placer la lutte contre le dérèglement climatique au second plan, derrière la préservation des emplois. Déjà, avant l’apparition du virus, les revendications sur le pouvoir d’achat étaient la priorité des Français dans les enquêtes d’opinion. La crise des Gilets jaunes a montré un attachement à un certain statut social, dont la consommation est l’un des principaux signes. En attendant, la pandémie offre l’occasion de prendre du recul et d’engager une réflexion sur les valeurs et sur le fonctionnement des systèmes économiques et sociaux.